Survivre au séisme : témoignage (partie 2)

10 avril 2019 Indonésie 12-12

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Le 28 septembre 2018 un puissant tremblement de terre et un tsunami ont dévasté le nord des Célèbes en Indonésie. Dans certaines régions, le séisme a littéralement provoqué la liquéfaction du sol. C’est un phénomène rare lors duquel le sol saturé en eau se transforme en boue liquide sous l’effet de secousses. Tout le village de Petobo et de nombreux habitants ont été ensevelis. Découvrez l’incroyable témoignage croisé de deux sœurs Nurmin et Nuri (50 et 42 ans) qui ont survécu à la catastrophe.

Témoignage de Nuri

J’habitais dans le village de Petobo, mais maintenant je vis dans le camp pour personnes déplacées. Le jour du séisme, je suis rentrée du travail vers 17 heures. J’étais à la maison depuis une demi-heure et je cuisinais pour les enfants. À 17 h 30 précises, le tremblement de terre a commencé. Lorsque le premier choc a eu lieu, je suis restée à l’intérieur de la maison, car je ne m’attendais pas à ce qu’il soit tellement intense. Les enfants ont couru dehors en criant: «Maman! Sors! ». Mais j’ai encore attendu à l’intérieur de la maison.

Lorsque le deuxième choc a eu lieu, le placard de la cuisine est tombé du mur. Alors je suis sortie en courant. Là, on a tous compris que c’était grave. Quand je suis parvenue dans la cour, le sol commençait à s’affaisser. J’ai donc ordonné aux enfants de courir vers la route principale. Quand nous avons atteint la route, j’ai entendu des rugissements. Je me suis arrêtée et je me suis demandée ce que pouvait bien être ce bruit? En fait, il s’agissait de la route qui s’était mise à onduler. Elle oscillait, oscillait et tout le long des maisons se sont effondrées.

Soudainement, la boue a jailli. Juste devant mes yeux, la maison en face de la mienne s’est renversée – les fondations et le toit étaient sens dessus dessous. Puis elle s’est retournée à nouveau, à l’endroit!

Lorsque j’ai regardé derrière moi, ma maison s’était déjà effondrée et les décombres gisaient à terre.

 

Puis la boue a commencé à tout envahir. À partir de 17h30, nous étions pris au piège, moi et les enfants. On était emportés dans un véritable tourbillon et on est restés coincés jusqu’à 2h00 du matin. Je tentais continuellement d’arracher les enfants à la boue. A un moment, j’ai essayé de toucher le fond. Mais mes pieds s’enfonçaient toujours plus profond et je me suis trouvée plongée dans la boue jusqu’au cou. Impossible d’avoir pied. La boue était chaude, elle vous aspirait vers le bas et il n’y avait pas de fond. Mes jambes pendaient dedans sans trouver d’assise. J’ai déployé des efforts surhumains pour nous en sortir. Mais nous étions coincés et emportés par le mouvement. On tournait en rond.

Nuri, le lendemain du tremblement de terre

Dewi, 2 ans et 9 mois

À un moment, Dewi s’est retrouvée submergée jusqu’au cou. Alors, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour la sortir de là. Je l’ai attrapée par les cheveux alors que la boue chaude nous aspirait vers le bas. Je me souviens m’être demandé, alors que je la tirais par les cheveux, que se passerait-il si la chevelure s’arrachait de la tête de Dewi et qu’elle disparaissait dans la boue ? Alors au moins je tiendrais quelque chose de Dewi dans mes mains pour le montrer à ses parents, pour leur prouver qu’elle était avec moi quand elle est morte. Je l’ai tirée par les cheveux jusqu’à ce que je puisse la saisir sous le menton pour la faire sortir. Ce n’est pas aussi facile qu’on pourrait le penser, d’extirper quelqu’un comme ça. J’ai tiré de toutes mes forces pour la libérer de la boue. Pauvre enfant, quand je l’ai sortie de là – grâce à Dieu – elle n’a pas pleuré ou émis le moindre son. Ni pendant le tremblement de terre, ni quand nous avons tournoyé dans la boue de 17h30 jusqu’à 2 heures du matin. Nous n’avons pas entendu un seul sanglot – elle n’a pas fait le moindre bruit.

Elle se comporte un peu différemment aujourd’hui. Avant la catastrophe, c’était un bébé tranquille et joyeux. Maintenant, quand elle joue et que quelque chose ne va pas, elle pleure tout de suite. Elle a sans doute été affectée par ce qui lui est arrivé. Avant le tremblement de terre, elle dormait souvent avec moi, mais maintenant elle ne veut plus être séparée de sa mère. Sa mère s’en sort bien, elle ne montre aucun découragement. Auparavant, elle était plus heureuse bien sûr. Pauvre fille, ses deux enfants ne veulent plus la quitter d’un pouce et la charge qu’elle a sur les épaules est constante.

Leur père, qui travaillait tous les jours, demeure tout le temps ici pour aider sa femme.

Il va rarement au travail car il ne peut pas laisser sa famille et les enfants seuls après le séisme.

 

L’entreprise où il travaillait s’est effondrée et est fermée. Ils n’ont jamais retrouvé leur moto et leur voiture. Ils n’ont rien retrouvé après la catastrophe. Quant à moi, je n’ai besoin de rien. La seule chose qui me fait mal, c’est que je n’ai pas pu sauver la photo de mon père, c’est tout. Je n’ai pas besoin de choses matérielles. Je me fiche de la maison. Elle est partie, c’est bon. Nous pouvons en construire une nouvelle. Ce sont les photos de mes parents qui me manquent le plus. Comme ils sont décédés depuis près de 20 ans, c’est tout ce que nous possédions en leur mémoire. Le trésor le plus précieux pour nous, leurs enfants, c’était ces photos.

Riski et sa fille, Budi

Azam et Dewi au camp de Petobo

La seule chose qui a pu être sauvé de la maison ce sont cinq petites assiettes. C’est tout ce que les enfants ont pu trouver et me rapporter. Les seuls vêtements que nous avions sont ceux que nous portions. Plus tard dans le camp, nous avons reçu de l’aide et des vêtements.

Ce dont nous avons besoin ce sont des logements en dur.

 

Nous n’avons besoin de rien de «luxueux». La seule chose dont nous avons besoin est un refuge sûr et permanent pour nous tous,  mes enfants, mon petit-fils et ma sœur qui est malade. J’ignore combien de temps nous devrons vivre dans ces tentes. Il y a un espace adapté pour les enfants.  Ils y jouent ensemble. Ils parlent et ils s’y divertissent. Ils assistent parfois à des cours et enseignements. Comme moi, mon fils semble déjà mieux. Petit à petit, il surmonte son traumatisme.

Mais il me demande souvent: « Combien de temps resterons-nous ici, maman? Quand aurons-nous à nouveau une maison ? Et, si nous rentrons chez nous, où irons-nous ? ». Qu’est-ce que je peux répondre à ses questions ? Nous souhaitons tous que les enfants puissent retrouver leur vie normale,  leurs routines et leurs jeux. »

La Croix-Rouge Indonésienne est une des organisations qui soutient la famille  de Nurmin et Nuri ainsi que toutes les personnes du camp de Petobo. Ils ont reçu des tapis de sols, des tentes, des colis alimentaires, des vêtements et des ustensiles de cuisine. On leur fournit également des produits d’hygiène et de l’eau potable. Des volontaires formés leur fournissent une aide psychosociale. Ils écoutent et discutent avec les femmes traumatisées. Les enfants participent à des animations dans un espace spécialement adapté aux enfants.

Des centaines de personnes disparues sont probablement ensevelies dans la boue de Petobo. Le village est aujourd’hui un lieu de mémoire. Les drapeaux sur le site portent des messages qui se traduisent par ‘Repose en paix’.

Le village de Petobo entièrement enseveli

 

Interview réalisée par Kathleen Prior.
Camp de personnes déplacées de Petobo.
Les prénoms des protagonistes ont été modifiés.

PHOTO © KATHLEEN PRIOR